L'Appel avait été entendu. Il avait été suivi. Elle avait rejoint les Nouvelles Terres... Mais ces Terres n'étaient encore qu'un monde sauvage où tout était à construire.
Cela importait toutefois peu à la jeune femme. La première chose à faire était de trouver un prêtre pour se confesser. Car la honte rongeait son esprit et elle se devait d'expier son moment de doute. Cela pouvait semble plus imple que ce ne l'était réellement, car la confusion était grande en Keldarie. De plus, la hiérarchie n'existait plus, aussi pouvait-il être corsé de trouver un ancien chapelain ou évêque si ceux-ci ne revêtaient plus les insignes de leur Ordre.
Or, dans la foule, elle finit par apercevoir la bure de l'un d'eux. Elle se fraya un chemin jusqu'à lui et demanda poliement :
Excusez-moi, mon Père. Pourrais-je m'entretenir avec vous?
Il se retourna et quelle ne fut pas sa surprise! Elle avait devant les yeux un enfant! Il ne devait pas avoir 15 cycles et... Enfin, elle se resaisit. Il était l'un de Ses représentants, porteur de Sa parole. Il ne fallait pas juger sur les apparences. Son expression reprit l'air neutre qu'elle avait l'habitude d'arborer et qui était d'usage chez les nobles.
D'ailleurs, l'enfant lui donna raison puisque c'est le plus grand sérieux et un air bienveillant qu'il acquiessa à sa demande. Ils s'éloignèrent quelque peu du temple et des campements qui commançaient à s'ériger tout autour. Là, ils trouvèrent un tronc d'arbre abattu. Le prêtre lui proposa de s'assoir. Elle eût une hésitation, quelque secondes, peut-être moins. Tout juste le temps qu'une pensée futile lui traverse l'esprit. Le temps de s'inquiéter de tacher ses vêtements... au point où elle en était rendue, quelle importance! Elle s'assied donc aux côtés du prêtre et s'adressa à lui en ces termes :
Je désire me confesser, mon Père. Pouvez-vous m'assurer que cela restera entre nous?
Il acquiessa de nouveau, mais elle hésita néanmoins un moment. Elle semblait chercher les mots pour exprimer son malaise. Finalement, elle leva les yeux vers l'ecclésiaste et dit :
J'ai honte, mon Père, car j'ai douté de Lui. J'ai douté qu'Il protégeait encore Son peuple. J'ai cru qu'Il nous avait abandonné. Car les armées impies souillaient nos terres ancestrales. Mais je n'ai pas d'excuses. J'ai failli, j'ai démontré que ma Foi n'était pas inébranlable, j'ai montré ma faiblesse. Et Le Juste m'a tout de même accordé de venir sur Ses nouvelles terres, malgré le blasphème de ma pensée envers Son nom. Dans Son infinie mansuétude, Il nous offre des terres, loin des profanes, loin des hérétiques, loin des blasphémateurs et pourtant, j'ai douté de Lui, j'ai douté qu'Il protégeait encore son peuple. Comment puis-je expier cette faute qui tache mon âme, mon Père? Comment puis-je être digne de la chance qu'Il nous offre?
Son regard était plongé dans le sien comme si elle cherchait la réponse à ses questions directement dans ses yeux, espérant peut-être y voir une lueur qui la rassurerait. Mais elle ne laissait rien paraître de son trouble, sinon dans sa voix un peu plus incertaine qu'à l'habitude - et encore fallait-il la connaître - et ses mains légèrement crispées, croisées sur ses genoux. Si bien qu'un observateur externe aurait cru à une banale conversation.
Le prêtre, tant par son regard que par ses propos, tentait de se faire rassurant.
Reconnaître ses tords est le premier pas vers la rédemption. Votre volonté de vous confesser vous honore et prouve la sincérité de votre repentir.
Qui peut se targuer de n'avoir jamais douté ? Qui peut affirmer sans mentir qu'il ne s'est jamais écarté de Son chemin ? A la vérité, je vous le dis ma soeur, nous ne sommes pas des êtres divins et parfaits mais humains et, par nature, faillibles. Il arrive que nous commettions des erreurs parfois. Celles-ci ne sont pas à négliger. Nous ne pouvons pas faire comme si elles n'avaient pas existé et les effacer d'un revers de la main, non. Il faut en prendre conscience et les rectifier. Vous avez cru que le Très Haut nous avait abandonné ? Vous avez laissé le doute s'insinuer en vous ? Vous avez été dans l'erreur et l'aveuglement. Aujourd'hui Sa lumière a levé le voile de vos yeux et vous a montré qu'il n'en était rien et que le Juste veille sur bien sur nous.
Pourquoi nous a-t-il sauvé et offert ces nouvelles terres ?
Ce n'est pas de la pitié ou de la miséricorde, le Sévère ne possède pas ce genre de sentiments. Il nous a donné une seconde chance. Il nous a mené ici en ce lieu. Ce qui est certain, c'est que jamais nos erreurs ne pourront être oubliées, le passé est le passé. Mais le Juste, conscient de nos fautes, nous a montré la voix à suivre pour les racheter : bâtir un nouveau royaume sur Ses terres bénies, raffermir notre foi, regagner l'unité que nous avions perdu, faire front commun face à l'adversité...
Voyez vous je n'ai pas réponse à votre question, je ne suis pas Dieu. Je suis malheureusement impuissant à connaître Sa volonté.
N'attendez pas que quiconque vous dicte la manière d'expier vos errements.
Il appartient à chacun d'entre nous de rééquilibrer la balance de nos péchés.
Servir Keldar prend un sens différent dans la bouche de chacun. J'ai choisi de Lui consacrer ma vie en entrant dans les ordres et d'aider au mieux Son peuple dans les moments pénibles qu'il traverse, vous avez certainement vous aussi votre propre manière de Le servir.
Elle eût un air un peu incertain face à ces propos.
Comment savoir quelle est ma voie, mon Père? Comment trouver la voie de ma rédemption?
Il sembla surpris par une telle question, voire même déconcertée.
Vous devez le savoir, vous qui louez Keldar.
Un artisan L'honore par la beauté qui se dégage de ses réalisations, un militaire par la force de son bras et le sacrifice de sa vie, un prêtre par son abnégation à Le servir ainsi que Son peuple... chacun apportant sa pierre à l'édifice, à Sa Justice.
Il s'arrêta un instant, la détaillant un peu plus en avant du regard, cherchant probablement par son apparence une réponse à une question qu'elle ne connaissait puis ajouta, sur un ton trahissant sa pensée, la pensée de celui qui tente d'expliquer la plus primaire des évidences.
C'est quelque chose que vous devez ressentir. Quelque chose que possèdent tout les fidèles...
Prenez le temps de vous recueillir. Prions ensemble ma soeur, je suis certain que vous trouverez alors le moyen de vous racheter aux yeux du Juste.
Il s'agenouilla au sol. La Keldarienne l'imita. Ils entamèrent une prière.
Keldar est ma force, il est mon salut,
De lui vient ma victoire, les ténèbres pour mes ennemis.
J’étais perdue, je traînais à terre, mais il m’a relevée
Il m’a portée à travers les nuées,
Il a brisé les chaînes qui m’enserraient
Et m’a élevée au-dessus des hommes.
Par mon bras, il a fait trembler la terre,
Par ma voix, il a soumis les peuples.
Ceux qui me faisaient face, il les a brisés,
Il a dispersé leur force tandis qu’ils se regroupaient,
Il a fait fuir leurs armées.
[...]
Ils égrennaient chacun les billes de leur chapelet, répétant sans relâche, avec Foi, Ardeur et Piété, les mêmes paroles, les mêmes prières. Jusqu'à la Balance centrale, une à une, avec dévotion.
Puis, les voix se turent. Mariane demeura un moment agenouillée, paupières closes. Ses doigts étaient enserrés sur le chapelet, les mains posées le long de ses cuisses. Quelques secondes... quelques minutes peut-être... Puis elle se leva, l'air plus sereine, et épousseta d'un geste le devant de sa robe. Posant son regard sur le prêtre, elle lui dit d'un ton plus posé :
Merci, mon Père. Je n'ai de certitudes, mais Son peuple a besoin de tous les bras qu'il a. Je trouverai.
Il s'inclina légèrement.
Puisse-t-Il vous aider dans votre quête.
Je prierai pour vous.
Puis il se signa, traçant le symbole de la balance sur la poitrine de la jeune femme. Ses mains éclairées d'un halo doré, il la bénit. Elle sentit une douce chaleur diffuser en elle. Elle s'était confiée à l'un de Ses représentants. Elle avait reçu sa bénédiction. Elle se sentait rassénérée.
Mais il restait encore un pas à faire vers la Rédemption...